L’évolution de la condition féminine dans les arts martiaux traditionnels chinois.

L’évolution de la condition féminine dans les arts martiaux traditionnels chinois.

September 16, 202423 min read

Introduction

Le mythe fondateur de la création du style de Kung-Fu le plus populaire dans le monde met en scène deux femmes jouant les premiers rôles. Nous savons aujourd’hui qu’il s’agit d’une histoire fictive inventée vers la fin du 19èmesiècle dans le but conférée une certaine légitimité historique à un style moderne et innovateur.

Mais pourquoi avoir choisi deux femmes pour expliquer la création du Wing Chun ? Est-ce un hasard ? Est-ce plutôt symbolique ? Ou peut-on vraiment y voir une forme de féministe précoce ? Une ouverture pour les femmes à intégrer le domaine martial essentiellement masculin ? Cet article tentera d’abord de répondre à ses questions en exposant, je l’espère, davantage la nature et l’origine du style de que je pratique depuis 25 années.

Ces réponses ont par la suite suscité d’autres questionnements. Je me suis intéressé alors à l’évolution de la condition des femmes dans les arts martiaux chinois en général. Mon récit historique sur cette question sera probablement incomplet, mais j’espère qu’il pourra servir de point de départ à une réflexion plus large pour les femmes aiment et pratiquent les arts martiaux.

Les arts martiaux comme symbole de la masculinité

Dans la tradition populaire, les arts martiaux incarnaient des valeurs typiquement masculines. Il était généralement très mal vue qu’une femme s’adonne à ce genre d’activité. Pour les jeunes hommes des classes populaires, jusqu’au début du 20ème siècle, pratiquer les arts martiaux signifiait « devenir un homme », de passer de l’état de faible, à l’état de fort.

Les récits qui faisaient la promotion des valeurs martiales mettent en scène des « chevaliers errants » qui vivent en marge de la société dans : « la contrée des rivières et des lacs », (qui est quelque peu l’équivalent de la forêt de Sherwood dans le folklore occidental). Ces marginaux se distinguent par leurs vertus : l’honneur, la loyauté, le courage. Ils défendent les faibles, réparent les injustices et surtout ils sont prêts à mourir pour leur cause.

Ces vertus détonnent avec celles prônées par le confucianisme qui met plutôt de l’avant l’harmonie, l’obéissance, la hiérarchie sociale. Du point de vue des classes supérieures, les pratiquants d’arts martiaux étaient perçus comme des marginaux sans éducation.

Dans une Chine impériale où la mobilité sociale était pratiquement impossible (mise à part d’une poignée de privilégiés qui réussissaient dans le système d’examen), il semble que les arts martiaux aient pu constituer une voie alternative pour plusieurs jeunes hommes des classes inférieures. Un professeur d’art martiaux méritait assurément le respect et l’admiration au sein de la population masculine des classes populaires.

La condition féminine dans la culture orientale et dans les arts martiaux en général

La culture orientale est issue d’une tradition très patriarcale issue de plusieurs siècles de conditionnement. Dans la société forgée par les idéologies confucianistes bouddhistes et taoïstes, les femmes vertueuses devaient se contenter d’être fidèle, de supporter leur mari et de mener une existence discrète et effacée. Elles n’étaient pas sensées jouer un rôle de premier plan comme dans l’histoire de Ng Moy et de Yim Wing Chun.

Même s’il existait quelques exceptions de récit de chevaliers errantes, les femmes n’apparaissait que très rarement dans les récits d’arts martiaux. Souvent, les femmes y jouaient le rôle de complotiste qui offrait la chance au héros masculin de rétablir l’ordre normal.

Issue d’une société construite sur ces valeurs patriarcales, mon ancien Maître exprimait souvent cette vision conservatrice. Par exemple, il répétait souvent à ses disciples qu’un homme ne devrait jamais placer « sa femme » devant soi mais plutôt derrière soi et à la limite à côté de soi. Il passait beaucoup de temps à mettre ses disciples en garde : « Les trois choses qui peuvent faire tomber un homme sont : le pouvoir, l’argent et les femmes ». La femme était ainsi perçue comme un élément potentiellement subversif qui pourrait corrompre un homme, où comme disait-il, vous faire dévier de la Voie. Il se moquait souvent de ces disciples qui lui semblaient en dehors de l’image stéréotypé du pratiquant d’art martiaux qu’il entretenait.

Dans cette optique, les rares femmes qui s’adonnaient aux arts martiaux devaient être encore plus marginalisés car elles devaient incarner les « valeurs martiales » qui étaient « destinés » aux hommes. Pourtant, dans la littérature martiale, il existait quelques récits qui mettaient en scènes des femmes héroïnes qui triomphaient grâce aux arts martiaux. Douglas Wile dans son article: Manufacturing Martial Spirit: Ethos, Ideology and Identity in the Chinese Martial Arts, en fournit deux exemples éloquents (p.106):

« Encore plus inhabituelles étaient les femmes chevalières errantes, dont la plus célèbre, Qiu Jin (1875-1907), a vu ses aspirations littéraires contrecarrées par un mariage arrangé et est finalement devenue une féministe d'avant-garde et une conspiratrice anti-mandchoue. Au cours d'une tournée au Japon, elle a été impressionnée par la discipline militaire affichée dans tous les secteurs de la société et, à son retour en Chine, a fondé un journal féministe, écrivant sous le nom de plume 'Female Knight of Mirror Lake', et a créé une école avec une formation militaire pour préparer le cadre à un soulèvement anti-mandchou. Elle a finalement rejoint le Tongmenghui, rédigeant le code militaire de leur branche armée. Portant des vêtements pour hommes, elle a participé à une formation d'arts martiaux à l'école avec les élèves de sexe masculin, mais un complot a été découvert et elle a été sommairement exécutée après avoir refusé de révéler des complices sous la torture.

Son sosie fictif est Sister Thirteen (Shisanmei) de Wen Kang, une héroïne qui apparaît dans sa collection Tales of Heroes for Children (Ernü yingxiong zhuan) du XIXe siècle. Après le meurtre de son père et l’impossibilité d’obtenir justice du système judiciaire corrompu, elle s’entraîne aux arts martiaux et venge de ses propres mains la mort de son père [Wen Kang s.d.]. Ces femmes guerrières se battent pour la famille, le pays, la justice et le genre.

Cependant, même aujourd'hui, les héros féminins comme Hua Mulan sont considérés avec une certaine ambivalence pour leur approche extrajudiciaire de la recherche de la justice. »

Un courant littéraire plus « féministe » au début du 20ème siècle

Pourtant, au début du 20èmesiècle, les historiens constatent une multiplication soudaine des héros féminins dans la littérature de la République. Ainsi, dans son article: Pourtant, au début du 20èmesiècle, les historiens constatent une multiplication soudaine des héros féminins dans la littérature de la République. Ainsi, dans son article: “From the archives: Ming tales of female warrior, searching for the origins of Yim Wing Chun and Ng Moy”, Ben Judkins explique:

« Tout cela commence à changer dans la période de la République. Certains mouvements réformateurs (notamment Jingwu) ont commencé à enseigner et à cultiver activement les femmes artistes martiales, leur donnant une place de plus en plus importante dans la société. Mais même avant cela, il y avait une explosion de personnages féminins dans les histoires d'arts martiaux. Ces personnages parviennent à sortir des rôles stéréotypés de «vierge-martyre» et de «femme fatale» et deviennent de véritables héroïnes. Ils sont également apparus dans un large éventail d'histoires, de la bande dessinée à l'historique et même au tragique.

Il faut se souvenir de cette tendance littéraire en lisant l'histoire de Yim Wing Chun et Ng Moy. Il y a certainement des histoires plus anciennes de femmes guerrières, mais ces deux personnages ont été imaginés et mis au papier à la hauteur de l'intérêt populaire pour les héroïnes d'arts martiaux. Le fait même que le récit de la création de Wing Chun se concentre si étroitement sur une paire de guerrières, et est si gêné dans sa discussion sur la façon dont un corps «féminin» plus petit et plus faible pourrait vaincre un corps «masculin» plus fort et plus grand, est encore une autre preuve circonstancielle que nous avons affaire à une création littéraire du début et du milieu de la République de Chine ».

Dans les anciennes versions des légendes, les héroïnes féminines chevaliers errantes réussissaient en tenant un rôle « masculin » (yang). Elles semblaient vouloir camoufler leur féminité en portant des vêtements masculins et elles triomphaient par la force. Il semble qu’au début du 20èmesiècle, de nouvelles versions de ces histoires faisaient maintenant triompher les héroïnes féminines non pas par la force (yang) mais plutôt par la ruse, la stratégie ou la magie (yin).

La symbolique du mythe de Ng Moy et Yim Wing Chun

Selon la légende, Ng Moy, l’une des 5 survivantes à la destruction du temples Shaolin, aperçue dans son exil une scène de combat impliquant une grue et un serpent. La scène fut pour elle une révélation qui l’inspira à créer une nouvelle méthode qui combinait des mouvements évasifs avec des attaques directes structurées. Mais Ng Moy étant déjà maître légendaire en arts martiaux. Pour valider l’efficacité de la nouvelle méthode, Ng Moy emmène une jeune femme vendeuse de tofu sur une montagne pour la former au combat en à peine un an. La vendeuse de tofu valida l’efficacité du style en vainquant le brigand qui souhaitait la marier contre son gré. C’est ainsi que le nom du nouveau style porta désormais le nom de son premier disciple: Yim wing chun. Ben Judkins explique :

C'est la chose vraiment intéressante à propos de l'histoire de Yim Wing Chun. Il accepte et glorifie même le «Yin», mais presque personne d'autre dans le monde très conservateur de Hung Mun Kung Fu ne l'a fait (surtout pas dans les années 1920 ou 1930).

À quoi cela ressemble-t-il dans un combat réel? C'est du pur pragmatisme à l’encontre de tout sens de «l'honneur» ou du «fair-play». Si votre adversaire avance, reculez. S'ils font un pont, dissolvez-le. S'ils voient votre mouvement, aveugle-les. S'ils tirent dessus, mutilez-les. S'ils saluent, profitez-en pour tendre une embuscade. Et n'oubliez pas la partie qui s'enfuit. Obtenez quelques coups solides, désactivez votre adversaire et sortez de là. Ne restez pas là à essayer de «rétablir l'ordre» parce que «Yin» sait que l'ordre est un mensonge. Il peut toujours être dissous.

«Yin» signifie survivre à un combat, pas gagner.

Ceux qui connaissent et pratiquent le Wing Chun peuvent très bien décoder les principes du Wing Chun contenues dans cette dernière citation.

Une nouvelle histoire pour valider les innovations techniques ?

Au début du 20èmesiècle, les principes techniques du Wing Chun sont innovateurs pour les arts martiaux chinois. Statuant que si l’on ne se fie qu’à la force physique et aux performances athlétiques, on risque de rencontrer éventuellement un adversaire plus vite, plus fort, plus puissant. Le Wing Chun propose un nouveau système qui ne repose pas sur la force mais plutôt sur des principes simples qui permettent de dévier la force au lieu de la confronter.

Dans cette optique, il devenait inutile de s’entraîner de longues heures physiquement (pour mes étudiants, je tiens à préciser que je n’endosse pas du tout cette prémisse…). L’étudiant acquiert les principes en pratiquant des formes bien structurées et en développant ses habiletés en s’entraînant avec un partenaire pour développer sa sensibilité (mains collantes).

Le mythe de Yim Wing chun semble avoir été concocté ainsi afin de valider les innovations techniques du style, en mettant en scène une femme (yin) qui en seulement un an de pratique parvient à vaincre l’homme (yang) qui la convoite.

Yim Wing Chun, l’incarnation symbolique d’une période de bouleversent politique

Ben Judkins y voit un lien hautement symbolique que l’on ne peut comprendre seulement si on replace le mythe dans le contexte socio-politique du début du 20ème siècle. Il prétend qu’une partie de la formidable réussite du style Wing Chun à cette même époque ait eu quelque chose à voir avec l’ingéniosité du mythe de sa création. Les mythes servent à donner du sens à notre existence, aux épreuves et à nos choix collectifs…

Après un siècle d’humiliation (guerres de l’opium, rébellions Taiping, guerre sino-japonaise, incursions étrangères répétés, échec de mouvement des boxeurs, guerre civile) la Chine du début du 20ème siècle prend conscience qu’elle est incapable de se battre d’égal à égal face aux occidentaux qui possèdent des armes, des armées et une mentalité moderne. Pour lutter, il devient légitime d’utiliser une tactique que dans d’autres circonstances on aurait pu qualifier de déloyale (yin). Selon Judkins, l’originalité de la légende Wing Chun tient du fait qu’elle relie la tradition à la modernité. Le mythe s’accroche au folklore et à la « tradition » puisqu’il relie Ng Moy directement aux temple Shaolin pour le rendre légitime. En même temps, il tente de faire accepter une nouvelle méthode et des idées plus moderne en donnant un rôle libérateur nécessaire aux femmes (yin).

Durant cette période cruciale, il semble que plusieurs milices du sud de la Chine aient rapidement adopté le Wing Chun comme nouvelle méthode de combat. Un observateur britannique nota en 1860 un groupe de 2000 à 3000 hommes s’exercer en mouvement de troupes en manipulant bâtons, lances et double couteaux (ces derniers en tant qu’arme de rechange advenant la perte de l’arme principale). Le style Wing Chun était présenté comme un art simple, efficace et facile à apprendre, ce qui répondait certainement à des besoins et des préoccupations urgentes dans une région instable en pleins bouleversements.

La symbolique (yin) dans le film Wing Chun (1994)

Dans le film Yim Wing Chun réalisé par Yuen Woo Ping en 1994, le scénario fictif reprend cette thématique de brillante façon. Le scénario invente une suite à l’histoire officielle. Yim Wing Chun retourne dans son village comme vendeuse de tofu et elle devient l’héroïne locale qui défend les villageois contre les brigands.

S’habillant en homme, elle joue un rôle semblable à celui d’un justicier masculin dans la littérature martiale populaire. Elle accepte son destin, notamment le fait qu’elle ne se mariera jamais puisqu’elle ne représente pas l’idéale féminin. Lorsqu’elle se mesure au chef des brigand qui est très fort et puissant, comprenant qu’elle ne peut pas le vaincre, elle retourne voir son Maître (Ng Moy), qui la guide en lui suggérant d’utiliser la méthode souple (yin). Ce fut une révélation ! Yim Wing Chun retourne combattre le brigand mais cette fois-ci, elle porte des vêtements de femmes.

En acceptant sa féminité, non seulement elle gagne le combat mais redevient attrayante pour son ancienne flamme qui la demande en mariage. Le yin n’est plus vue comme un élément subversif, au contraire, son affirmation est pleinement assumée.

Le mythe Wing Chun peut-il être vue comme invitation aux femmes à intégrer le monde des arts martiaux ?

Malheureusement, sur le terrain, il semble que la tradition patriarcale millénaire ne s’efface pas si facilement. Même dans le mythe de Yim Wing Chun, les femmes disparaissent soudainement après avoir joué leur rôle. Yim Wing Chun n’a pas d’enfant et la légende ne s’intéresse plus à elle puisque c’est son mari qui se charge de la transmission et de l’enseignement.

Le courant dominant chez les Maîtres d’arts martiaux du 20ème siècle reste très conservateur. Personnellement, pour mon éducation martiale, j’ai eu droit à une vison plutôt conservatrice de la femme, et ce, malgré le fait que mon Maître adhérait au mythe en prétendait être le légitime héritier de Yim Wing Chun.

Chen Shichao, pionnière au sein de l’association athlétique Jingwu (Ching Woo)

Néanmoins, il serait injuste de passer sous silence les efforts de la célèbre Association Athlétique Jing Wu (Chin Woo) pour faire la promotion des arts martiaux auprès des femmes. Cette association fondée par des intérêts privé et chapeautée par le gouvernement de la République chinoise, avait comme mission de promouvoir les sports et les activités physiques pour former une jeunesse progressiste, moderne et nationaliste. À partir des années 1910-1920, l’association se répandit d’abord dans les universités, puis dans les écoles publiques. À ce propos, Ben Judkins explique dans son article « Reshearch note organizing the womens section of the Jiingwu association 1920 » :

« Pourtant, l'une des grandes vertus du mouvement Jingwu, et plus tard du Guoshu, était son désir de lutter contre la stigmatisation répandue selon laquelle les artistes martiaux n'étaient que des hommes forts illettrés et grossiers. Si les citoyens chinois devaient entrer dans l'ère moderne, leur culture physique devrait ouvrir la voie ».

L’une des pionnières de l’association Jingwu était une femme connue sous le nom de Chen Shichao. Elle est en grande partie responsable des vues progressistes de l’organisation et des opportunités de formation ainsi offertes aux femmes. En 1917, elle ouvrit des cours d’arts martiaux pour les femmes. L’année suivante, elle organise des démonstrations à travers le pays. En 1920, elle est à la directrice de la « Jingwu Women’s Sports Association ». Elle diffuse même un guide théorique qui s’adresse aux instructeurs et qui explique à l’aide d’arguments scientifiques et modernes, comment et pourquoi les femmes peuvent performer aussi bien que les hommes. Chen Shichao était l’une des instigatrices du mouvement féministe. Dans un autre article sur l’association Jingwu : Reevaluating Jingwu. Would Bruce Lee have existed whitout it ?, Ben Judkins est on ne peut plus clair:

« Les femmes ont également été encouragées à rejoindre Jingwu et l'organisation a soutenu et obtenu le soutien du mouvement féministe naissant de Chine. En fait, parce que les femmes chinoises faisaient une grande partie des achats, elles avaient tendance à accorder la plus grande attention aux publicités dans les magazines et les journaux. En réalisant cela, les responsables de la publicité de l'Association Jingwu ont commencé des campagnes de marketing dans un journal familial qui visaient spécifiquement les femmes au foyer chinois dans le but de changer la perception des femmes sur les arts martiaux ».

« Alors que les conteurs chinois parlent souvent de jeunes filles à l'épée et similaires, la vérité est qu'avant Jingwu, l'accès des femmes aux arts martiaux était très restreint. Cette organisation a été pionnière dans l'enseignement des femmes. En fait, Jingwu semblait avoir un lien spécial avec les femmes artistes martiales. Beaucoup des gains réalisés par les pratiquantes dans les années 1920 ont été lentement éliminés par l'Institut Central Guoshu, plus réactionnaire socialement (sous le contrôle de GMD) dans les années 1930. »

Malheureusement, l’Association Jingwu du nord et du centre de la Chine ne survit pas à la crise économique de l’entre deux guerres et due déclarée faillite en 1924. L’organisation réussit toutefois à survire de façon indépendante dans le Guangdong, à Foshan au sud-est de la Chine et dans les diasporas chinoises de l’Asie du Sud-Est. Mais comme Ben Judkins le souligne, les femmes devraient attendre encore quelques années afin que le monde des arts martiaux traditionnels leur ouvre ses portes :

« On pourrait penser que les années 1920 auraient été un âge d'or pour la participation des femmes aux sports organisés en Chine. Les structures sociales féodales du passé étaient abandonnées, la fixation des pieds devenait rapidement un souvenir, de nouvelles formes d'éducation physique étaient introduites dans les écoles et une grande variété de sports, de l'athlétisme au volleyball, étaient pratiqués à travers le pays. Malheureusement, ce n'était pas le cas. Alors que certaines valeurs culturelles évoluaient, d'autres restaient obstinément persistantes ».

Les changements sociaux sont lents et ne sont certainement pas linéaires. Malgré ce recul, la vague féministe naissante briserait bientôt les remparts érigés par deux millénaire de conditionnement patriarcal.

La contribution héroïque des « Amazones » durant la 2ème Guerre Mondiale.

N’en déplaise aux conservateurs, des milliers de femmes n’ont pas hésité à prendre les armes contre les Japonais à partir de 1937. Dans plusieurs régions du nord, la situation catastrophique sur le terrain exigeait d’abord que les femmes remplacent les hommes dans les champs et dans les industries.

Rapidement, vers la fin de l’année 1937, les pertes chinoises étaient si lourdes que de nombreuses femmes s’enrôlèrent dans l’armée pour venger leur mari tombé au combat ou dans les milices locales pour défendre leurs villages contre les envahisseurs. Des sources militaires parent notamment d’un régiment composé de 3000 femmes qui combattaient directement en première ligne. Ces femmes courageuses manipulaient grenades, fusils et souvent des armes traditionnelles chinoise.

D’ailleurs, le gouvernement chinois utilisait outrageusement l’image des « femmes guerrières amazones portant les armes des ancêtres » comme outil de propagande patriotique dans les journaux. Il semble que ce phénomène suscitait un grand intérêt aussi auprès de la presse occidentale basée à Hong Kong. Cette propagande avait le double objectif de convaincre le public américain que la Chine avant la volonté et la capacitée de résister aux Japonais et de convaincre l’allier américain de soutenir financièrement l’effort de guerre.

Après la Seconde Guerre Mondiale, si la presse occidentale fut fascinée de voir comment les chinois laissèrent de côté rapidement leur hiérarchie sociale en mettant le « amazones » en avant-scène, la presse chinoise et le milieu des arts martiaux continuaient à débattre et à résister à l’intégration des femmes dans leur cercle conservateur.

La Chine communiste et la propagande Wushu

Le basculement de la Chine de Mao dans un régime communiste totalitaire causa une véritable tragédie pour les arts martiaux traditionnels qui furent un temp interdits, puis réformés. Paradoxalement, la Chine nouvellement communiste des années 1950-60 ouvrit définitivement la porte aux femmes dans le monde des arts martiaux. La révolution culturelle de Mao fit éclater « dans le sang » les derniers résidus de la hiérarchie sociale confucéenne. Les arts martiaux, eux aussi, allaient être mis au service de la « construction du socialisme ».

Dans les années 1970, le parti communiste commençait à utiliser les arts martiaux chinois comme outil de propagande et de diplomatie culturelle. Le Parti Communiste cherchait à démontrer à l’occident qu’elle a réussi avec succès l’effort de modernisation de la Chine tout en préservant ce qu’il y a de mieux dans sa culture. Une image esthétique voire artistique pour laquelle les femmes allaient être mises à contribution. Les dirigeants cherchaient à mettre en valeurs les gains en matière d’égalité des sexes pour tenter de souligner le rôle social progressiste que le wushu a joué dans la société chinoise.

Disons que l’image que souhaitait diffuser la RPC en présentant des performances artistiques de maniement d’armes, de chorégraphies à mains nues et de prouesses acrobatiques exécuté par des artistes portant des vêtements flamboyants détonnait avec celle qui marqua les esprits des occidentaux. Je parle bien évidemment de celle de Bruce Lee, arrogant, flamboyant et provocateur. Alors que certains y voient le cuisant échec de la propagande chinoise, d’autres attribuent la formidable ascension de Bruce Lee aux valeurs viriles et masculines qu’il incarnait.

L’autodéfense pour femme en occident, signe de progrès ou symptôme d’une société toujours inégalitaire ?

L’industrie du cinéma ouvrit les portes de l’occident pour les arts martiaux traditionnels chinois. Plusieurs maîtres ayant fuient les régimes communistes de l’Asie s’installèrent dans des sociétés fascinées par « l’orientalisme ». Le milieu conservateur des arts martiaux s’est adapté et s’est ouvert au « nouveau marché » parfois en exploitant la « fascination orientaliste » ou parfois en modernisant leur approche. Dans les deux cas, la porte était désormais grande ouverte pour les femmes.

Même que de nombreuses écoles ont orienté leur curriculum vers l’autodéfense, s’adressant souvent prioritairement aux femmes. On peut sans doute y voir un signe encouragent en affirmant que finalement les femmes ont trouvé leur place dans ce monde d’homme. Ou serais ce plutôt un malheureux signe qui pointe l’étendue de la violence que subissent les femmes ?

Conclusion

C’est un fait bien établit, les arts martiaux ont toujours été perçus socialement davantage comme étant une activité masculine servant à promouvoir et affirmer des valeurs « masculines ».

Dans nos sociétés modernes, les questions de genre évoluent très rapidement. De nouveaux débats font rage présentement au sein des spécialiste concernant l’émergence des femmes dans l’industrie de mma. J’en ai glissé quelques articles dans ma bibliographie.

Je suis d’avis que la « culture mma » aujourd’hui a remplacé voire surclassée les arts martiaux traditionnels en tant qu’étend d’art de la masculinité en commercialisant l’image de la virilité et de la testostérone. C’est l’une des raisons qui expliquent la grande popularité de ce sport, et en même temp le relatif « déclin » (en therme d’adhésion) de certains arts martiaux traditionnels.

Je pense qu’il revient aux femmes elles-mêmes de déterminer de quelle façon et pour quelles motivations elles veulent intégrer et contribuer au domaine des arts martiaux. Toutes celles que j’ai côtoyé ou enseigné méritent mon admiration ne serait-ce pour s’être tenues contre le courant.

Les nouvelles adeptes peuvent aussi bien s’inspirer du folklore de légendes comme celle de Yim Wing Chun, d’une pionnière comme Chen Shishao de l’assosiation Jingwu, des courageuses « amazones » qui défendirent leur village durant la seconde guerre mondiale, ou bien des athlètes championnes de mma.

Pour ma part, celle qui m’accompagne sur le chemin des arts martiaux, Khaykham Saliphod, est ma source d’inspiration. Elle représente un modèle de force de résilience et de leadership hors du commun. Je lui dédie cet article afin de lui rendre hommage.

Yannick Gravel

Maître Enseignant

Kung Fu Montréal Est

Bibliographie

Articles

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JUDKINS Benjamin. Kung Fu Tea, Martial Arts History, Wing Chun and Chinese Martial Studies. Lives of Chinese martial artists, 10 Chen Shichao and Gongzhe creating the Jingwu revolution. Adresse URL: https://chinesemartialstudies.com/2013/10/18/lives-of-chinese-martial-artists-10-chen-shichao-and-chen-gongzhe-creating-the-jingwu-revolution/(Page consultée le 16 avril 2020).

JUDKINS Benjamin. Kung Fu Tea, Martial Arts History, Wing Chun and Chinese Martial Studies. Reevaluating Jingwu, would Bruce Lee have existed without it? Adresse URL:https://chinesemartialstudies.com/2012/08/15/reevaluating-jingwu-would-brucle-lee-have-existed-without-it/ (Page consultée le 16 avril 2020).

JUDKINS Benjamin. Kung Fu Tea, Martial Arts History, Wing Chun and Chinese Martial Studies. Trouch a lens darkly 43 chinese amazons and weapons of the forefathers. Adresse URL: https://chinesemartialstudies.com/2017/02/20/through-a-lens-darkly-43-chinese-amazons-and-the-weapons-of-the-forefathers/(Page consultée le 16 avril 2020).

JUDKINS Benjamin. Kung Fu Tea, Martial Arts History, Wing Chun and Chinese Martial Studies. Research note. Kung fu diplomacy during the cultural revolution. Adresse URL: https://chinesemartialstudies.com/2019/03/25/research-note-kung-fu-diplomacy-during-the-cultural-revolution/(Page consultée le 16 avril 2020).

JUDKINS Benjamin. Kung Fu Tea, Martial Arts History, Wing Chun and Chinese Martial Studies. Trouch a lens darkly 58 contesting wushu. Adresse URL: https://chinesemartialstudies.com/2019/03/31/through-a-lens-darkly-58-contesting-wushu/(Page consultée le 16 avril 2020).

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Film

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